Le Corbusier : il s'était à 33 ans choisi ce nom qui tenait de l'oiseleur. On lui trouvait une tête de corbeau et il s'était fait corbeau. Il avait chaussé son bec de grosses lunettes rondes en bakélite noire et signait couah ! couah ! certaines cartes postales. Descendu vers Paris depuis les monts du Jura, il s'était voulu prophète. Ce Zarathoustra construirait la demeure du Surhumain. Il était extraordinaire, doctrinaire et propagandiste, artiste, architecte immensément talentueux. Il avait construit et reconstruit son personnage. On lui avait ensuite élevé une statue colossale. Il régnait comme une idole.
Et voici qu'aux alentours du cinquantenaire de sa disparition, le mémorial de béton brut a commencé à se craqueler. Son goût pour l'autorité, son urbanisme implacable, terrible, véritablement totalitaire, ses mauvaises accointances d'avant-guerre, ses dix-huit mois à Vichy durant l'Occupation jaillissaient d'entre les fissures comme de funèbres oiseaux. Et ce qui devait être une commémoration est devenu un procès. Des centaines d'articles apparurent dans le monde entier comme des nuées hostiles.
François Chaslin, dont l'essai Un Corbusier est de ceux qui déclenchèrent cette épidémie d'idées toutes faites, d'accusations, de condamnations, d'affrontements de mauvaise foi, revient ici sur les mœurs intellectuelles telles que nous les observons, à l'âge notamment des réseaux sociaux : diffamation, plagiat, massification du jugement et recherche du scandale, foutaise, ressentiment et désir de vengeance y ont pris une place nouvelle. Cet ouvrage est un appel à une histoire qui serait libre, sans tabou, sans passion triste ni rancune. Quantités d'oiseaux y paraissent, laids ou gracieux, fragiles ou cruels, dionysiaques ou parfaitement idiots qui lui font une guirlande et qui l'enveloppent du bruissement des fables, mythes et poèmes.